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« Le simple fait de modifier la loi ne mettra pas fin au mariage des enfants ; il est en outre essentiel de veiller à ce que la loi soit effectivement appliquée » Misiyah, directrice de l’Institut KAPAL Perempuan

Conversation avec Misiyah, directrice de l’Institut KAPAL Perempuan :

Éliminer la pratique du mariage des enfants en Indonésie

Un an s’est écoulé depuis la réforme historique, et bien des choses se sont passées en Indonésie depuis. En septembre 2019, le Parlement indonésien a approuvé à l’unanimité une réforme qui élève l’âge minimum légal du mariage des filles, de 16 ans à 19 ans. En effet, la législation indonésienne permettait auparavant aux filles de se marier dès l’âge de 16 ans et aux jeunes hommes à l’âge de 19 ans. Il existait également la possibilité pour les parents de demander aux tribunaux religieux ou aux autorités locales une dérogation exceptionnelle pour le mariage de leurs filles de moins de 16 ans. Cette absence d’harmonisation à l’intérieur du système juridique faisait que, dans la pratique, il n’existait pas d’âge minimum pour le mariage des filles. La décision du Parlement a représenté une grande victoire pour le mouvement féministe et l’espoir d’un avenir plus radieux pour les Indonésiennes.

Nous avons récemment conversé avec Misiyah, directrice de l’Institut KAPAL Perempuan, notre partenaire en Indonésie, qui est à l’avant-garde du mouvement pour interdire le mariage d’enfants.

Nous avons discuté de son parcours dans la défense de cette cause et des progrès réalisés dans la mise en œuvre effective de la loi pour éradiquer le mariage d’enfants.

L’Indonésie est le 8e pays au monde en matière de nombre de mariages d’enfants. Pourquoi les chiffres sont-ils si élevés et pourquoi cette pratique est-elle si courante ?

Il s’agit en fait d’une pratique enracinée dans les croyances et les coutumes culturelles, qui revêt des aspects complexes liés à divers autres facteurs structurels et déterminants sociaux. Les résultats d’une enquête socio-économique nationale et les études de l’UNICEF montrent que les filles et les enfants de familles pauvres vivant dans les zones rurales et ayant un faible niveau d’éducation sont davantage exposés à cette pratique[i]. Les recherches de KAPAL permettent de comprendre qu’il existe une stigmatisation sociale énorme des jeunes femmes qui se marient après 20 ans ; la religion dicte en outre qu’il convient de se marier jeune. Il est donc extrêmement difficile d’aborder le sujet, de remettre en question les attitudes et les normes qui font du mariage d’enfants, précoce ou forcé, une pratique acceptable.

Il s’agit d’un problème omniprésent et grave en Indonésie. Au cours des dix dernières années, e taux de mariages d’enfants (d’à peine 3,5 %) a légèrement diminué, mais la prévalence du mariage d’enfants dans 22 provinces demeure supérieure à la moyenne nationale (qui s’élevait à 10,82 % en 2020).

Cela fait maintenant un an que l’Indonésie a adopté cette réforme capitale qui a modifié l’âge minimum légal pour se marier. Que s’est-il passé depuis cette réforme ? Quels ont été, selon vous, les moments clés et quelles sont les difficultés qui existent encore ?

Après l’adoption de la réforme, les instances gouvernementales, les ONG et d’autres parties prenantes ont déployé des efforts pour faire connaître les nouvelles dispositions de la loi. Des campagnes de sensibilisation ont été engagées, d’ailleurs toujours en cours, car dans de nombreuses régions reculées l’information ne passe pas encore. Il a été particulièrement difficile de sensibiliser les gens, ainsi que les fonctionnaires publics, les chefs religieux, les anciens, gardiens des traditions, les érudits, certaines personnalités publiques et certains journalistes.

Nous savons tous que la seule modification de la loi ne mettra pas fin au mariage d’enfants ; il est essentiel en outre de veiller à sa bonne application. Plusieurs efforts sont déployés au niveau de divers mécanismes gouvernementaux pour renforcer la mise en œuvre de la réforme. Par exemple, l’Agence nationale de planification du développement (Bappenas) a mis au point une Stratégie nationale de prévention du mariage d’enfants, qui doit être mise en œuvre par les ministères concernés. La Cour suprême, dans le cadre de la réforme à la loi, a émis des directives pour les procédures d’audience en cas de pétition pour obtenir une dérogation. Les autorités locales ont également agi en émettant des réglementations pour prévenir et décourager le mariage d’enfants. Les règlements et les plans sont importants, mais ne sont pas suffisants. Les nouvelles dispositions de la loi doivent être intégrées dans tous les programmes gouvernementaux, et un budget adéquat doit être alloué pour les rendre effectives.

Le suivi de la mise en œuvre de la loi révisée jusqu’au niveau le plus bas est donc un aspect essentiel pour l’heure et demeure un défi majeur. Les données jouent ici un rôle important. Celles dont dispose actuellement le gouvernement ne sont pas inclusives et sont globalement limitées au niveau provincial (infranational). Notre organisation KAPAL s’est donc concentrée sur la production de données alternatives de manière participative, sous l’angle du genre. Nos données sont conçues et recueillies pour combler le vide et éclairer les processus gouvernementaux.

Nous avons généré des données au niveau des villages (niveau le plus bas) en renforçant la capacité des femmes et des parties prenantes locales, pour leur permettre d’utiliser des méthodes et des outils de collecte de données afin de générer, de synthétiser et de diffuser les données de manière cohérente. La nature participative de la collecte de données crée un sentiment d’appropriation partagée et offre une validation. KAPAL offre également une formation juridique aux femmes leaders pour traiter les cas de mariage d’enfants au niveau de leur village. Les acteurs et actrices sur le terrain, dotés de connaissances et de compétences, militent à présent contre le mariage d’enfants dans leurs propres communautés.

Mais l’un des effets insidieux de la pandémie a été une augmentation des taux de mariage d’enfants. Quel a été l’impact de la Covid-19 sur la capacité des femmes et des filles indonésiennes à prendre des décisions en matière de mariage ?

Même avant la pandémie, les femmes et les filles avaient déjà un pouvoir d’action limité. Le contexte de la pandémie n’a rien arrangé et les Indonésiennes semblent avoir encore moins de pouvoir décisionnel dans ce domaine. Nous observons une recrudescence des cas de violence contre les femmes et de mariage d’enfants.

De nombreux facteurs influent sur la capacité d’une femme ou d’une fille à prendre des décisions importantes concernant sa vie, y compris le mariage. Un exemple simple concerne les décisions de scolarisation au sein des familles, notamment la question de savoir qui poursuivra des études ou qui atteindra un niveau d’éducation plus élevé. Pour des parents ayant un garçon et une fille, l’éducation du fils sera prioritaire en raison de notre système de croyance patriarcale profondément enraciné. De même, s’agissant du mariage, les jeunes femmes et les filles se voient refuser la liberté de prendre leurs propres décisions et sont souvent dans l’incapacité de s’opposer à leur mariage à un âge précoce.

La pandémie de Covid-19 a néanmoins transformé la façon dont nous vivons et travaillons. Nous avons dû modifier notre approche de plaidoyer ainsi qu’en matière de renforcement des capacités, et tout se fait désormais en ligne. Notre organisation est intervenue dans plusieurs situations d’urgence provoquées par la pandémie. Nos efforts ont porté sur l’information du public au sujet des questions sanitaires et de genre, la fourniture de nourriture et d’autres secours, la promotion de l’utilisation des médias en ligne avec une attention particulière aux communautés sans connexion à l’Internet, la production et la distribution de masques et l’intégration des questions de genre dans les réponses à la crise sanitaire. L’impact de la Covid-19 est fortement ressenti dans notre travail à KAPAL ainsi qu’au niveau individuel.

Quelles sont les possibilités qui se présentent maintenant ? Que faut-il faire de plus pour donner aux filles le pouvoir de négocier et d’exercer leur autonomie en matière de décisions relatives au mariage ?

Il y a toujours de l’espoir et de l’optimisme quant à la possibilité pour l’Indonésie de parvenir à éliminer la pratique du mariage d’enfants. Le pays s’est d’ailleurs engagé à réaliser cette élimination d’ici 2030, conformément aux Objectifs de développement durable. Mais beaucoup reste à faire pour que cette vision se transforme en réalité.

L’engagement et l’action collective de toutes les parties prenantes sont essentiels pour faire de l’Indonésie un pays sans mariage d’enfants. Le suivi de la mise en œuvre de la loi est dès lors crucial pour s’assurer du respect du nouvel âge minimum fixé à 19 ans pour les jeunes hommes et jeunes femmes. De façon plus importante encore, les femmes et les filles doivent être sensibilisées, informées de leurs droits et se sentir libres de prendre les décisions qui touchent à leur corps, leur vie, et en particulier leur mariage.[i]https://www.unicef.org/indonesia/sites/unicef.org.indonesia/files/2020-06/Prevention-of-Child-Marriage-Report-2020.pdf

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