Il n’y a pas de justice climatique sans égalité des genres
Pouvons-nous remédier aux inégalités structurelles de genre avant que le changement climatique ne les amplifie ?
de Biplabi Shrestha, directrice de programme, ARROW et Esme Abbott, coordinatrice des communications , Equal Measures 2030
Cette année, certaines régions du Pakistan ont atteint la température étouffante de 51 °C ; quelques mois[NA1] plus tard, un tiers du pays était sous les eaux. Les deux événements ont battu des records, ils ont probablement été amplifiés par le changement climatique et ils ont en outre affecté les femmes et d’autres communautés marginalisées de manière unique et disproportionnée. Est-ce la nouvelle normalité ?
Bien qu’il existe d’importantes lacunes dans les données portant sur la relation entre le changement climatique et les inégalités de genre, nous savons que les catastrophes naturelles ne sont pas neutres en matière de genre, et nous le savons depuis des décennies.
Au lendemain du tsunami dans l’océan Indien de 2004, au Sri Lanka, en Indonésie et en Inde, on a constaté qu’il y avait parmi les survivants 3 fois plus d’hommes que de femmes. Parmi les femmes indiennes qui ont survécu, près de 9 sur 10 ont subi des violences physiques au cours des deux années suivantes.
Nous avons constaté la même tendance quelques années plus tard aux États-Unis, lorsque les taux de violence domestique ont grimpé en flèche après l’ouragan Katrina et sont restés élevés pendant deux ans.
Les cyclones au Mozambique et les sécheresses dans la Corne de l’Afrique ont de la même manière provoqué des pics dans les taux de mutilations génitales féminines et de mariages précoces. Même avant que les crises n’éclatent, la santé et les droits sexuels et reproductifs (SDSR) étaient l’un des droits les moins prioritaires dans de nombreux pays, et l’accès universel devient encore plus difficile en période de changement climatique et de catastrophes climatiques.
Pourquoi les femmes et les filles sont-elles si vulnérables au changement climatique ?
Les personnes qui subissent des formes multiples et intersectionnelles de discrimination, en raison de leur genre, de leur origine ethnique, de leur caste, de leur race, de leur handicap ou de leur statut de migrant, sont très vulnérables dans le contexte du changement climatique, en grande partie parce qu’elles sont les plus vulnérables dans les sociétés en général.
C’est là le danger du changement climatique : c’est un multiplicateur de menaces, et peut-être « le multiplicateur de menaces le plus important pour les femmes et les filles », selon le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la violence à l’égard des femmes et des filles.
Cette vulnérabilité est enracinée dans un réseau systémique et enchevêtré de facteurs sociaux, culturels et économiques. Parmi ces facteurs figurent un accès limité aux filets de protection sociale, à l’autonomie, à la mobilité, aux ressources et à la justice, ainsi que des niveaux plus élevés de pauvreté, de charges domestiques, de dépendance aux ressources naturelles (qui s’amenuisent) et d’exposition à la violence, à l’exploitation et au déplacement de populations.
Bon nombre des inégalités auxquelles sont confrontées les femmes et les filles en raison de la crise climatique ne seront pas nouvelles, elles seront simplement intensifiées et multipliées.
Prenons l’exemple des filles aujourd’hui dans le monde, qui doivent aller chercher de l’eau pour leurs familles. Que leur arrivera-t-il lorsque les points d’eau se tariront en raison de la hausse des températures ?
Les filles devront faire de plus longs trajets à pied. Elles manqueront plus d’école ; elles devront peut-être abandonner complètement leurs études. Les marches plus longues les exposeront à des risques plus élevés de rencontres violentes en cours de route. Pour certaines, l’option d’une marche plus longue n’existera pas, toutes les sources accessibles auront disparu et elles seront obligées d’échanger des faveurs sexuelles pour avoir accès à l’eau. D’autres marcheront plus loin et elles en subiront les conséquences pour leur santé. D’autres encore, seront confrontées aux conséquences sanitaires de la consommation d’une eau qui n’est pas vraiment potable. Certaines familles peuvent essayer d’éviter complètement ce sort à leurs filles en les forçant à se marier.
Dans ce scénario, les risques auxquels ces filles sont confrontées ne sont pas nouveaux, elles y sont simplement plus exposées. Notre travail consiste à répondre à ces menaces avant qu’elles ne soient amplifiées et multipliées.
Pouvons-nous créer une nouvelle normalité ?
Des études de cadrage menées récemment par ARROW en partenariat avec ONU Femmes ont montré que le paysage politique sur le genre, le changement climatique et la réduction des risques de catastrophe est diversifié et axé sur l’approche descendante de la conduite d’actions sensibles au genre.
Dans les cadres politiques nationaux, les questions clés spécifiques au genre telles que la santé sexuelle et reproductive, le handicap et la violence sexiste sont souvent ignorées dans les processus de planification ou remplacées par des priorités concurrentes.
Les politiques liées au climat ignorent souvent les réalités vécues par les populations et ne bénéficient pas d’un plaidoyer fondé sur des preuves et d’une recherche approfondie sur le genre. L’analyse du genre et de la SDSR est donc souvent absente de ces stratégies.
Cette année, alors que les dirigeants assistent à la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP27), nous avons besoin qu’ils comprennent que les impacts sexospécifiques du changement climatique affectent déjà les femmes du monde entier, et ce depuis des décennies.
Nous avons besoin que leurs histoires soient entendues, et nous avons besoin qu’elles soient racontées par les femmes et les filles les plus proches des problèmes dans toutes leurs diversités et leurs expériences uniques.
Nous avons besoin que des actions soient engagées maintenant et plus précisément, nous avons besoin que les États et les décideurs :
– évaluent les cadres politiques sur le genre et le changement climatique pour permettre la mobilisation des OSC à tous les niveaux
– répondent aux besoins en connaissances techniques pour concevoirdesactions climatiques réactives, sexospécifiques et transformatrices en matière de genre
– bâtissentun cadre national pour le suivi et l’évaluation (S&E) de l’adaptation au changement climatique afin de renforcer l’intégration des questions de genre et l’action programmatique sensible au genre. [U2]
Pour produire des solutions véritablement durables aux problèmes liés au climat, nous avons besoin d’un cadre de justice climatique informé et dirigé par les groupes sociaux les plus vulnérables au climat. Ce cadre ne peut réussir que si les États s’attaquent aux facteurs structurels et systémiques qui exacerbent les inégalités entre les sexes et accroissent la vulnérabilité, notamment en abrogeant et en abolissant les pratiques et politiques discriminatoires.
*Please note that this article was originally written in English and as such some of the links reference articles written in English.