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Compter les règles, compter les progrès : la santé menstruelle, une priorité mondiale en matière de données 

Heather Judge, Stagiaire Equal Measures 2030

Si les règles sont une réalité universelle, la santé menstruelle reste l’un des aspects les moins bien compris et mesuré de l’égalité de genre. Des millions de femmes et de filles dans le monde ne disposent pas des conditions de base nécessaires pour prendre en charge leurs règles en toute sécurité et dans la dignité. Or, en l’absence de données, les inégalités auxquelles elles sont confrontées restent dans l’ombre. 

La santé menstruelle détermine la présence des filles à l’école, la possibilité de travailler pour les femmes, la reconnaissance par la société des besoins de la population féminine et bien d’autres aspects encore. Pourtant, moins de la moitié des pays recueillent des données nationales sur les menstruations. À cause de cet angle mort, l’inégalité menstruelle reste l’un des obstacles les plus persistants et les plus invisibles à l’égalité. 

Les conséquences de l’absence de données sur la santé menstruelle sont immédiates et lourdes : les responsables politiques ne sont pas à même de budgétiser des installations qu’ils ne peuvent mesurer ; les bailleurs de fonds négligent souvent la question de la santé menstruelle dans les programmes d’éducation et d’hygiène ; les militant.es sont privé.es des éléments probants qui leur permettraient de faire pression pour amener un changement. L’invisibilité dans les données devient une invisibilité dans les politiques – et les progrès stagnent avant même d’avoir pu commencer. 

Le rapport 2023 de l’UNICEF intitulé La Situation des enfants dans le monde met ces lacunes en perspective ; une femme ou adolescente sur quatre ne dispose toujours pas chez elle de produits adéquats pour son hygiène menstruelle. Les données qui existent montrent que, cumulées, la stigmatisation, la pauvreté et la qualité médiocre des infrastructures excluent les adolescentes de l’école ou limitent la participation des femmes sur le marché du travail. Mais dans trop de pays encore, ces données n’existent tout simplement pas, ce qui ne permet pas aux responsables politiques de prendre la pleine mesure des répercussions de l’inégalité menstruelle sur l’égalité de genre. 

Quand les données sont disponibles et quand elles ne le sont pas 

Lorsqu’elles sont disponibles, les données menstruelles permettent de dresser un tableau contrasté. L’enquête par grappes à indicateurs multiples (MICS) de l’UNICEF et les enquêtes démographiques et de santé (DHS) collectent des informations sur l’accès à des produits propres, à des installations sûres et à un espace d’intimité à l’école ou au travail – autant d’éléments essentiels à la gestion de l’hygiène menstruelle. 

L’analyse de ces ensembles de données montre que seulement 37 % des adolescentes en Afrique subsaharienne disposent de toilettes privées pour changer leurs produits menstruels. Or, en Asie de l’Est et du Sud-Est, où des investissements ciblés dans l’eau, l’assainissement et l’hygiène ont amélioré l’accès à ces installations, ce chiffre passe à plus de 80 %. Cela montre bien que des progrès sont possibles, moyennant des investissements ciblés. Toutefois, ces investissements ne peuvent avoir lieu que si les militants et militantes ont accès aux preuves nécessaires pour défendre cette problématique auprès des bailleurs de fonds et des responsables politiques. 

Moins de 50 pays ont recueilli des informations nationales sur l’hygiène menstruelle et ils sont moins nombreux encore à les avoir ventilées par lieu, par revenu ou en fonction du handicap. Sans ces analyses intersectionnelles, les inégalités restent dans l’ombre et les ressources ne peuvent pas être affectées de manière efficace. 

Des études ayant adopté cette approche transversale révèlent que dans les ménages ne disposant pas de sanitaires rudimentaires, les adolescentes ont 1,7 fois plus de chances de manquer l’école pendant leurs règles ; les femmes handicapées ont deux fois plus de chances de ne pas avoir de sanitaires privés chez elle ; et dans les habitats informels au Kenya, une adolescente sur trois déclare utiliser des produits à risque comme un tissu ou du papier parce qu’elle n’a pas les moyens de s’acheter des produits adaptés. Ces données sont essentielles pour que les politiques et les investissements puissent tenir compte des personnes les plus vulnérables. 

Un autre problème se pose : les menstruations sont souvent uniquement envisagées dans le cadre des plans en matière d’eau, d’assainissement et d’éducation, ce qui réduit les responsabilités, car d’après une évaluation mondiale menée par WaterAid, le Burnet Institute et l’université de Columbia, moins de 30 pays disposent de politiques autonomes en matière de santé menstruelle. Et même dans ce cadre, la thématique est souvent oubliée : alors que la santé menstruelle est directement liée aux objectifs mondiaux en matière de santé, d’éducation et d’égalité de genre, elle est toujours absente des indicateurs officiels relatifs aux Objectifs de développement durable. Ce fossé reflète l’absence plus générale de données sur le genre dans les rapports mondiaux et entrave la capacité à mesurer réellement les progrès réalisés à l’échelle mondiale. 

En pratique 

Or, certains pays, partout dans le monde, démontrent que l’égalité menstruelle est atteignable lorsque l’engagement politique est à la hauteur de la demande du public. 

En 2020, l’Écosse est devenue le premier pays au monde à garantir la gratuité des produits d’hygiène féminine grâce à une loi intitulée Period Products (Free Provision) Act. Cette loi oblige les écoles et les autorités locales à mettre à disposition des serviettes hygiéniques, des tampons et des produits réutilisables pour toutes celles qui en ont besoin. Elle a été saluée de toutes parts comme étant une politique fondée sur les droits et a conduit d’autres pays à faire de même. Cependant, les progrès sont plus difficiles à mesurer, car les données menstruelles sont recueillies au niveau du Royaume-Uni, alors même que la politique de santé est une compétence décentralisée. Si la situation semble s’améliorer en Écosse, elle est plus difficile à mesurer sans données ventilées. Les seules informations disponibles sont celles de Plan International qui déclare qu’une fille sur dix au Royaume-Uni manque encore l’école parce qu’elle ne peut pas se payer de produits ou y avoir accès. L’expérience de l’Écosse montre qu’un leadership national, lorsqu’il s’accompagne de données ventilées, peut aider à transformer des lois progressistes en progrès durables. 

Le Kenya a lui aussi pris des mesures importantes dans ce sens. Le Programme de serviettes hygiéniques gratuites, lancé en 2017, avait pour objectif de proposer des produits d’hygiène aux filles scolarisées partout dans le pays. Selon les données MICS 2019, près de la moitié des adolescentes disposent désormais des produits dont elles ont besoin pour prendre en charge leurs règles en toute sécurité. Il s’agit là d’un jalon important dans un pays qui a officiellement reconnu que la santé menstruelle constituait un problème de santé publique. Toutefois, les filles en zones rurales, celles qui vivent en habitats informels et les filles handicapées restent les moins bien loties. Les pénuries, les problèmes de financement et la stigmatisation dans les écoles ont en outre limité la portée du programme. L’expérience du Kenya montre donc que des progrès sont possibles lorsque le politique, le leadership communautaire et les données se renforcent, mais souligne aussi que des investissements durables sont nécessaires pour que toutes les filles puissent en bénéficier. 

Compter ce qui compte 

La santé menstruelle reste sous-mesurée, sous-financée et sous-estimée. Les systèmes de suivi mondiaux n’en tiennent pas compte et les données existantes sont souvent datées ou incomplètes. L’invisibilité des expériences dans ce domaine, que ce soit au niveau des filles qui manquent l’école dans les zones rurales kenyanes ou les problèmes d’application des politiques progressistes, reflète des inégalités plus profondes, puisque toutes les personnes ne sont pas prises en compte de la même manière. 

Pour combler ce fossé, les gouvernements, les bailleurs de fonds et les militant·es devraient : 

  • Intégrer des indicateurs de santé menstruelle dans les rapports nationaux et mondiaux. 
  • Financer les bureaux de statistique de façon à inclure la santé menstruelle dans les enquêtes existantes. 
  • Reconnaître les initiatives locales de données et leur accorder des ressources. 
  • Faire de la santé menstruelle une question de dignité, d’égalité et de droits humains. 

L’égalité menstruelle ne se résume pas à donner accès à des serviettes ou des produits d’hygiène féminine. C’est une question de justice, de visibilité et de respect. L’égalité de genre ne pourra être obtenue que lorsque la réalité vécue par toutes les femmes et toutes les filles sera visible dans les données.  

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