Quels sont les enjeux du futur gouvernement guatémaltèque pour les femmes ?
— Ester Pinheiro, chargée de la communication au sein d’Equal Measures 2030
Les gouvernements d’Amérique centrale n’ont pas été les premiers à promouvoir des changements de politique institutionnelle pour lutter contre les inégalités de genre. L’une des principales raisons est l’absence de représentation politique des femmes dans certains pays de la région et de partis progressistes non associés à la corruption qui fassent avancer l’agenda des droits. Le Guatemala a élu son président l’année dernière, mais que propose ce gouvernement pour les femmes et les filles ?
Les élections présidentielles de 2023 au Guatemala visaient à mettre en place un gouvernement différent, en mesure de changer la réalité de la kleptocratie et de la violence étouffant les femmes et les filles. Bernardo Arévalo, du parti social-démocrate progressiste Mouvement Semilla, a réussi à obtenir suffisamment de voix pour concourir à la présidence du pays face à Sandra Torres, de l’Unidad Nacional de la Esperanza (Union nationale de l’espérance), et ainsi poursuivre sa route vers le second tour du 20 août, en l’emportant avec plus de 60 % des presque 4 millions de voix électorales.
Plus de femmes en politique, est-ce la solution ?
La proportion de sièges occupés par des femmes dans les parlements nationaux d’Amérique latine est considérée comme « très faible », selon l’indice du genre des ODD 2022. Le Guatemala obtient 21 points de moins que la moyenne déjà très basse de la région. Mais le fait d’être une femme ne fait pas nécessairement de vous une candidate progressiste, comme c’est le cas de Sandra Torres au Guatemala, explique Marisa Miodosky, consultante principale pour l’Amérique latine chez Equal Measures 2030.
La présence de ces femmes avec un agenda réactionnaire ne garantit pas la lutte et la protection des droits pour l’égalité de genre et l’autonomie des femmes. De nombreuses femmes qui accèdent à des postes de pouvoir en représentant des partis de droite ou d’extrême droite souscrivent à un discours antiféministe et anti-droit concernant l’avortement, l’immigration et les LGBT. Il s’agit d’une réalité mondiale, avec des exemples tels que Nikki Haley, candidate potentielle à la présidence, représentante républicaine aux États-Unis ; Marine le Pen en France ; Giorgia Meloni, première ministre italienne et Keiko Fujimori dans sa course à la présidence au Pérou. Au Royaume-Uni, certaines des politiques anti-immigration les plus agressives ont été exprimées par des femmes de couleur telles que Priti Patel, Suella Braverman et Kemi Badenoch, une femme noire qui s’est qualifiée de guerrière culturelle anti-woke.
En Argentine, le gouvernement Milei récemment élu, qui compte ⅓ de femmes dans son cabinet, n’a pas hésité à démanteler le ministère de la Femme, du Genre et de la Diversité, et à envoyer au congrès un recueil de lois visant à modifier les règles de la coexistence en Argentine, avec notamment de graves répercussions sur le système de soins et la parité électorale. « Alors que certains de ses législateurs sont opposés aux lois qui préviennent et punissent différents types de violence tels que le harcèlement de rue », explique Marisa.
En revanche, un gouvernement fait par et pour des femmes diverses et permettant leur élection démocratique est nécessaire. Ce n’est pas ce qu’a vécu la candidate Maya Mam Thelma Cabrera, dont les connaissances se situent dans le contexte indigène. Elle et son ancien procureur en charge des droits humains, Jordán Rodas, qui se présentaient avec le Movimiento para la Liberación de los Pueblos (MLP – Mouvement de libération des peuples), un parti indigène doté d’une importante structure départementale, n’ont pas pu participer.
« Thelma est une dirigeante communautaire qui a acquis beaucoup d’influence de manière collective, et pas seulement de manière personnelle et égocentrique comme d’autres », déclare Ángela Chiquin Chitay, une jeune indigène guatémaltèque fondatrice de l’organisation Kemok. Selon elle, Thelma a su gérer ses ressources en ne bénéficiant pas des mêmes privilèges que les autres. « Elle n’était pas autoproclamée ; ce sont les députés et les candidats à la mairie ayant un comité enregistré qui l’ont choisie pour participer à ce qui représentait l’outil politique. »
La corruption et l’agenda des droits humains
Avec une politique marquée par un « pacte de corruption » (comme on appelle communément au Guatemala l’alliance entre les juges, les membres du Congrès, les hommes d’affaires et différents acteurs qui cooptent et pillent l’État), il est difficile de garantir les droits de la population, en particulier les droits des femmes et des jeunes filles.
Danessa Luna, activiste guatémaltèque et défenseuse des droits des femmes à Asogen, l’une de nos organisations partenaires, explique que le pacte de corruption a tenté de mettre fin aux avancées en matière de droits des femmes, et surtout de mettre fin au cadre institutionnel pour les femmes qu’il a fallu 30 ans pour mettre en place. Il a ainsi fait reculer des questions importantes telles que la santé et les droits sexuels et génésiques.
Le Guatemala connaît une crise institutionnelle, avec un positionnement traditionnel-conservateur qui a coopté les institutions, principalement les trois branches du gouvernement (exécutif, législatif et judiciaire) et d’autres institutions autonomes essentielles au fonctionnement de l’État de droit, telles que notamment l’université de San Carlos, le bureau du procureur des droits humains, la Cour constitutionnelle, l’ordre des avocats.
La kleptocratie de l’État laisse présager des années de pillage du pays, de corruption et d’impunité, ainsi que le trafic de drogue, qui affaiblit également la démocratie, les institutions et les droits des femmes. « Certains hommes politiques sont impliqués dans le trafic de drogue et le contrôle de la drogue qui passe par le Guatemala, et c’est aussi une raison majeure pour laquelle beaucoup d’entre eux veulent que les choses continuent comme avant », explique Danessa. Ce système instaure également un régime de persécution à l’encontre de tout.e étudiant.e, défenseur.euse de l’égalité des sexes, juge, procureur.e ou journaliste qui dénonce les illégalités et la violence basée sur le genre.
Semilla prendra-t-il le pouvoir au Guatemala ?
Par crainte de perdre le pouvoir gouvernemental et la gestion fantaisiste du ministère des Finances, le « pacte de corruption » a conduit le système politique guatémaltèque à rejeter la participation d’opposants susceptibles de mettre en péril leurs intérêts et à autoriser la candidature d’autres acteurs politiques faisant l’objet d’accusations sérieuses.
Ce même pacte a conduit à une tentative de coup d’État au Guatemala en décembre de l’année dernière. Le ministère public du pays a demandé que les résultats des élections soient déclarés nuls et non avenus. Toutefois, le Tribunal suprême électoral a précisé que les élections n’auraient pas lieu une seconde fois. Même l’OEA a condamné la tentative de coup d’État au Guatemala. À l’origine de cela, l’enquête contre le parti vainqueur sur l’affaire « Corruption Semilla », ainsi que de nouvelles demandes de destitution à l’encontre du président élu, Bernardo Arévalo, et des députés du Mouvement Semilla, Ligia Hernández et Samuel Pérez.
Ils veulent entrer dans l’histoire en affirmant qu’il y a eu fraude, que Semilla est un parti illégalement constitué et que les actions des députés visent à « garantir le vote des citoyens ». Cependant, pour Danessa, il n’y a pas eu de fraude. Selon elle, la population est plus informée et critique à l’égard du flux d’informations. « Ils se sont trompés de génération ». Pour cette cheffe de file en matière du genre, le président élu Bernardo Arévalo, a fait un bon travail avec la population, « surtout un travail de “fourmi” en partageant son approche anti-corruption, anti-impunité qui a laissé la population sans santé, sans éducation, sans sécurité, sans rien ».
Qu’attend-on du gouvernement de Bernardo Arévalo ?
Les féministes et les organisations de femmes voient le Mouvement Semilla sous un jour positif et avec beaucoup d’espoir.
Pour les filles et les femmes, nous espérons qu’il viendra un temps où leurs droits seront respectés, qu’il y aura un gouvernement plus équitable qui aura pensé à leurs droits, tels que l’accès à la justice, à l’éducation, à la santé et à d’autres droits spécifiques. Nous espérons qu’il y aura davantage de possibilités de négocier, de dialoguer et d’avoir la possibilité de gouverner ensemble, d’être écoutées et d’être rendues visibles.