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Changement générationnel en Inde : faire passer l’âge légal du mariage de 18 à 21 ans peut-il changer la vie des filles ?

Par Aarushi Khanna, coordinatrice régionale d’Equal Measures 2030 et Sahaj**

L’Inde est le pays où le plus grand nombre de mariages d’enfants sont recensés. L’UNICEF estime en effet que près de la moitié des mariages d’enfants dans le monde sont concentrés en Asie du Sud, dont 1 sur 3 sont en Inde[1]. La loi en vigueur fixe l’âge légal minimum du mariage des filles en Inde à 18 ans. Les autorités politiques envisagent actuellement d’élever ce seuil à 21 ans et une annonce en ce sens a été faite par le Premier ministre indien en août 2020. Les organisations de défense des droits des femmes et les défenseurs·res de l’égalité de genre ont exprimé leur inquiétude à propos de la réforme envisagée.

Les décisions concernant le mariage en Inde sont régies par un ensemble complexe de facteurs qui se conjuguent : la pauvreté ; le système de dot, faisant que plus la mariée est jeune, plus la dot sera faible ; une issue pour protéger l’honneur familial ; un moyen de prévenir le viol et les rapports sexuels préconjugaux ; et les perceptions autour du travail et de la productivité[2]. Tous ces facteurs constituent des obstacles au respect effectif de la loi sur le mariage des mineurs. C’est aussi la raison pour laquelle les familles considèrent que l’éducation des jeunes filles n’est guère une priorité et plutôt un investissement inutile, car sont mises en avant leurs capacités productives qui sont perçues comme bénéfiques pour la famille maritale. La pratique du mariage précoce est souvent regardée par les parents et les tuteurs comme le moyen de garantir l’avenir des filles et de les protéger face aux risques de violence physique et sexuelle. La loi dans sa version actuelle est également utilisée par les parents et les membres de la communauté pour contrôler et punir les filles qui choisissent leur propre partenaire. En réalité, c’est un moyen d’exercer un contrôle sur le droit des jeunes femmes à disposer de leur corps.

Bien que déclinante, la pratique du mariage d’enfants est clairement omniprésente en Inde. Même 40 ans après l’adoption de la loi actuelle relative à l’interdiction du mariage d’enfants, le nombre de jeunes filles mariées avant l’âge de 18 ans reste extrêmement élevé, puisqu’il est de 1 sur 4 [3]. La proportion de femmes âgées de 20 à 24 ans ayant été mariées avant l’âge de 18 ans s’élevait à 50 % en 1992-1993, et à 47 % en 2005-2006. Ce n’est qu’entre 2005 et 2015 qu’elle a connu une baisse appréciable de 19% [4]. L’accès progressif à l’éducation, l’alphabétisation accrue des mères et les investissements publics ont contribué à cette baisse notable au cours de la décennie passée. Les progrès de l’Inde ont été marquants, mais ne sont toutefois pas assez rapides pour éliminer complètement cette pratique d’ici 2030.

Pourquoi le gouvernement cherche-t-il donc à réformer la loi sur l’âge du mariage ?

Deux raisons peuvent être avancées :

  • Tout d’abord pour améliorer les statistiques en matière de santé maternelle : les grossesses précoces en Inde – et donc le risque accru de mortalité maternelle qui en découle –, sont directement liées au mariage précoce.  Le gouvernement est d’avis que l’élévation de l’âge légal du mariage retarderait les premières grossesses et entraînerait de meilleurs résultats en matière de santé maternelle et infantile.
  • Le second argument convaincant est lié aux données démographiques : retarder l’âge du mariage, c’est retarder l’âge auquel les femmes tombent enceintes, ce qui est donc susceptible d’entraîner une réduction du nombre global de grossesses[5].

L’organisation Sahaj, notre partenaire en Inde, considère que cette approche est plutôt simpliste et bien loin de la réalité sur le terrain. L’amélioration de la santé maternelle et infantile ne dépend pas uniquement de l’âge de la femme enceinte, mais aussi de sa stabilité financière, d’une bonne nutrition et de son niveau d’éducation. Engagée dans des actions de plaidoyer sur la question au niveau national et étatique, Sahaj estime que le débat doit porter sur tous les autres facteurs qui permettraient aux jeunes femmes de prendre des décisions éclairées. Au cours de la dernière décennie, l’Inde a connu une diminution du nombre de mariages d’enfants et du taux de fécondité ; or cette évolution n’est pas le résultat de réformes législatives, mais plutôt des investissements et interventions dans les domaines de la santé, de l’éducation, du perfectionnement professionnel et de l’inclusion financière. Les autorités gouvernementales doivent être conscientes de ces facteurs et reconnaître qu’une nouvelle réforme à ce stade n’est pas nécessaire.

« À mon avis, changer l’âge du mariage ne conduira pas à une réduction de la mortalité maternelle. La véritable cause réside dans le manque des services de santé maternelle disponibles et leur mauvaise qualité. » Jeune de 18 ans, éducatrice, Vadodara, Gujarat.

Que peut donc faire le gouvernement ? Voici une liste d’autres interventions possibles sur lesquelles le gouvernement pourrait se concentrer pour éliminer cette pratique nuisible d’ici 2030.

  • Investir dans l’amélioration des résultats scolaires des filles. Au rythme actuel, il est estimé que 68 % des filles âgées de 20 à 24 ans seront en mesure de terminer leur cursus secondaire d’ici 2030[6]. Tous les obstacles qui mènent à une augmentation de l’abandon scolaire doivent être identifiés et éliminés pour que chaque fille puisse terminer son cycle secondaire d’ici 2030.
  • Améliorer l’accès à une éducation sexuelle complète (ESC) pour promouvoir le droit à disposer de son corps, renforcer le pouvoir de décision ainsi que les activités et comportements sexuels sains qui peuvent entraîner une diminution des conduites à risque et contribuer à la disparition des pratiques néfastes. De manière regrettable, la fermeture des écoles en raison de la pandémie de Covid-19 a entravé l’ESC et la diffusion d’informations sur la santé reproductive.
  • Investir davantage pour assurer un accès universel à des moyens de contraception et des services de santé maternelle de qualité, et à des services d’avortement sans risque. Les progrès réalisés par l’Inde pour répondre aux besoins des femmes mariées en matière de contraception n’ont été améliorés que de 6,9 % entre 2008 et 2018[7]. Les services de santé génésique ont été gravement impactés par la crise sanitaire et auront vraisemblablement des répercussions sur l’accès aux contraceptifs dans l’ensemble de l’Inde.
  • Créer des opportunités d’emploi. La pandémie a déclenché une crise migratoire en Inde. Les mesures de confinement ont entraîné des pertes d’emploi massives pour les travailleurs salariés qui avaient migré vers les grandes villes pour y travailler. Il est estimé que plus de 10,6 millions de travailleurs migrants sont retournés dans leur État d’origine, faute de perspectives pour générer des revenus[8].En ces temps d’incertitude socio-économique, les migrants qui sont parents de jeunes filles décident donc de les marier plus tôt dans le but d’assurer leur avenir et leur bien-être.
  • Écouter les filles et considérer avant tout leur intérêt, en le plaçant au centre de toutes les politiques et de tous les programmes. La crise sanitaire liée à la Covid-19 a entraîné des perturbations majeures dans le système éducatif avec la fermeture des écoles, et par conséquent dans la vie des filles, aggravant le risque de mariage précoce et d’autres pratiques néfastes. Sahaj s’est entretenue avec des jeunes femmes dans différentes parties de Vadodara (État de Gujarat) pour connaître leur avis au sujet de la réforme proposée, et voici leur réaction…

« J’en appelle au gouvernement pour qu’il change le système éducatif, améliore la qualité de l’enseignement dans les écoles publiques, rende obligatoire l’apprentissage de l’informatique, offre des bourses et des formations professionnelles pour pouvoir travailler et entreprendre, de sorte que les filles ne soient pas un fardeau financier pour leur famille et puissent négocier les décisions concernant leur vie. » Jeune de 21 ans, Vadodara, Gujarat.

« L’Inde s’est engagée à éliminer la pratique du mariage d’enfants d’ici 2030 dans le cadre du Programme de développement durable. La crise sanitaire ajoute à la complexité des choses. La crainte est grande que des années de progrès sur la question s’évanouissent. La ligne d’assistance pour les enfants en Inde a déjà signalé une augmentation de 17 % des appels de détresse liés au mariage précoce au mois de juin-juillet de cette année, par rapport à 2019[8]. Dans ce contexte, l’Inde doit prioriser l’amélioration de l’accès à l’éducation, à la santé sexuelle et reproductive et à la nutrition, tout en donnant aux jeunes femmes et aux jeunes filles plus de pouvoir d’action. »

**Membres de l’équipe de Sahaj : Hemal Shah, Nilangi Sardeshpande, Rashmi Deshpande, Renu Khanna, Vaishali Zararia

[1]https://www.unicef.org/india/what-we-do/end-child marriage#:~:text=While%20the%20prevalence%20of%20girls,the%20prevalence%20of%20the%20practice.

[2] https://www.girlsnotbrides.org/child-marriage/india/

[3] https://www.unicef.org/india/media/1176/file/Ending-Child-Marriage.pdf

[4] Enquête nationale sur la santé des familles — estimations 2,3,4 http://rchiips.org/nfhs/

[5] https://www.thehindu.com/news/national/government-may-relook-age-of-marriage-for-women/article32364889.ece

[6] Equal Measures 2020 – Plateforme de données https://data.em2030.org/ 2020-index-projections/data-explorer-by-country/ 

[7] Sahaj, Bending the Curve Factsheet, 2020 http://www.sahaj.org.in/ factsheets.php

[8] https://www.business-standard.com/article/current-affairs/struggling-to-find-work-under-mgnregs-bihar-migrants-head-back-to-cities-120101900238_1.html

[9]https://www.bbc.com/news/world-asia-india-54186709 

Publié

27/06/2021 à 19 h 08

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