Comment les journalistes de données peuvent-ils appliquer une perspective intersectionnelle ? Une conversation avec Aarushee Shukla
Gros plan sur Surbhi Bhatia, Boursière du Data Fellowship (cohorte de l’Inde)
AP : Pouvez-vous nous décrire votre parcours et ce qui a éveillé votre passion pour le journalisme de données ?
AS : Je suis une chercheuse indépendante et praticienne du développement et je travaille à l’intersection du genre et du développement. Diplômée en économie, je suis aussi titulaire d’un diplôme de troisième cycle en travail social, avec une spécialisation dans les pratiques axées sur les femmes. J’ai obtenu mon diplôme en 2020 et, depuis lors, je m’efforce d’étudier les questions de genre dans une perspective féministe intersectionnelle. Je suis particulièrement intéressée par l’importance d’amener les individus de la périphérie vers le centre. En outre, ma philosophie féministe est focalisée sur la démystification et la démocratisation de l’information et de la connaissance, qu’il s’agisse de jargon ou de littérature féministe, et leur adaptation au contexte local. J’écris des articles, j’entreprends des projets de recherche et, depuis peu, j’anime une série d’émissions de télévision intitulée Critique and Create. Dans ces émissions, nous discutons de sujets qui sont considérés comme superficiels par les grands médias ou qui ne sont tout simplement pas abordés du tout.
AP : Vous avez focalisé vos travaux sur l’intersectionnalité et la décolonisation dans le développement. Qu’est-ce qui doit changer pour permettre au domaine du développement de devenir plus intersectionnel et plus inclusif ?
AS : L’intersectionnalité est un terme très large qui a une signification très simple : lorsque vous concevez un programme, vous devez prendre en compte chacun des individus faisant partie du groupe ciblé. Le programme est voué à l’échec dès le départ si la définition de l’intersectionnalité n’est pas définie d’un commun accord et exhaustive. C’est pourquoi il est important d’avoir une définition universelle dans laquelle les différents besoins des personnes sont entendus et pris en compte. Nous devons également créer un espace dans lequel les gens peuvent raconter leur propre histoire au lieu de nous voir raconter l’histoire à leur place.
Il est si facile pour nous de dire que nous devrions redistribuer le pouvoir, mais c’est une tout autre affaire de le faire réellement. Même au Parlement, il est facile de dire que certains membres masculins devraient céder leur siège pour une représentation plus équitable, mais ces membres ne veulent évidemment pas le faire. Et je dois me demander si je serais prête à céder mon propre siège. En tant qu’individus, nous devons nous montrer responsables de nos actions à tout moment. Si nous commençons à le faire dans la pratique, nous serons à même de concrétiser beaucoup des choses que nous voulons en théorie.
AP : Avez-vous intégré l’intersectionnalité dans des visualisations de données ? Comment traduisez-vous ce concept en quelque chose de tangible ?
AS : Pour être tout à fait honnête, j’ai eu du mal. En particulier, l’accessibilité pose problème dans la collecte de données basée sur des enquêtes en ligne, car ces interfaces ne disposent généralement pas de lecteurs d’écran, de commandes vocales, etc. qui permettraient la participation des personnes handicapées. Pour résoudre ce problème, j’organise mes entretiens avec eux par téléphone et j’enregistre moi-même leurs réponses, mais c’est un processus incomplet et coûteux. En outre, je voulais à l’origine intégrer autant de langues parlées en Inde que possible. Cependant, en raison de contraintes, j’ai dû conserver le formulaire en anglais et en hindi. J’ai essayé de tenir compte de l’intersectionnalité en recueillant des données démographiques sur chaque participant à l’enquête et sur chaque personne interrogée. Ce que j’ai retenu de ce programme de bourse, c’est que je ne ferai jamais de compromis sur l’accessibilité et que je veillerai toujours à ce que l’intersectionnalité soit incluse dans mon travail.
Aarushee Shukla est titulaire d’un master en travail social avec une spécialisation en pratiques axées sur les femmes de l’Institut Tata des sciences sociales de Mumbai. Elle travaille actuellement en tant que boursière dans le cadre du projet « Articulating Women – Interrogating Intersectionality : Empowering Women through Critical Engagements » (Rendre les femmes accomplies : Interroger l’intersectionnalité : Renforcer le pouvoir des femmes par des engagements critiques). Elle est également journaliste freelance, spécialisée dans les questions de genre et d’intersectionnalité, et ses articles ont été publiés dans The Telegraph et SheThePeople. Ses domaines de recherche de prédilection se situent à l’intersection entre le genre et les indicateurs de développement au niveau macro, l’économie féministe, la politique en tant que praxis et l’analyse désagrégée des genres.